GUIDE OENOGRAPHILIQUE
L'ART ET LE VIN : ETIQUETTES MOUTON ROTHSCHILD
XX ième SIECLE 1924 et 1945 à 1955
JEAN CARLU 1924
Né en 1900, Carlu est issu d’une famille d’architectes : son frère Jacques dirigea la construction du Palais de Chaillot à Paris. Après une brève période d’études à l’École des Beaux-Arts, il commence à se spécialiser, dès l’âge de dix-sept ans, dans la conception d’affiches. Son talent est tel qu’en 1918, il est nommé Graphiste de l’année par un jury présidé par le célèbre graphiste Cappiello. Le même jour, Carlu perd son bras droit dans un accident de la route. De longs mois de rééducation et de réajustement seront nécessaires, mais il ne laissera pas cette perte le détourner de sa carrière. L’image de la main, qui revient souvent dans ses œuvres plus tardives, est un rappel de cette tragédie.Son œuvre d’affichiste, fondée sur des images très originales pour l’époque – le profil, le masque, la main, répétée de manière obsessionnelle – s’est développée dans trois domaines en particulier. Le premier, l’engagement politique, se concentre dès 1930 sur le mouvement pour la paix (Le Désarmement, 1932) et la lutte contre le nazisme (Stop Hitler Now, 1940). Cette affiche est dessinée aux États-Unis, où il vécut de 1940 à 1953. Le deuxième est l’expression, sous forme d’affiches, des courants artistiques dominants de l’époque : le cubisme, comme dans l’étiquette de Mouton Rothschild 1924, et le surréalisme, influencé par André Breton et Yves Tanguy, comme dans l’affiche Reichold Chemicals. Le troisième est une série impressionnante d’innovations techniques : l’utilisation du photomontage (l’affiche du film Atlantis de Pabst en 1932), d’éléments en trois dimensions (La Grande Maison de Blanc, 1933), et d’ampoules électriques dans la composition d’affiches (Luminograph, 1937).
PHILIPPE JULLIAN 1945
Pour commémorer la Victoire des Alliés, le baron Philippe de Rothschild conçut, en 1945, l’idée d’enrichir l’étiquette de Mouton Rothschild par la reproduction d’une œuvre d’art : en la circonstance, un dessin symbolique destiné à célébrer le retour de la paix et la joie de vivre enfin retrouvée.Il en confia la réalisation à un jeune artiste alors inconnu, Philippe Jullian (1921 – 1977), qui, à son talent de dessinateur, devait ajouter plus tard celui d’auteur dramatique à succès. Parmi les différents projets que Philippe Jullian soumit au baron Philippe, celui-ci choisit le « V » de la Victoire, dont Churchill, depuis cinq ans, avait fait pour le monde libre un signe de ralliement.
JEAN HUGO 1946
Arrière petit-fils de Victor Hugo, Jean Hugo (1894-1985) est très tôt attiré par les arts de la scène. Il se fait connaître en décorant, pour Jean Cocteau, “Les mariés de la Tour Eiffel” en 1921. Par la suite, il conçoit des décors pour les ballets de Léonide Massine et, au cours des années 30, pour la Comédie française. Parallèlement, il mène une carrière de peintre et d’aquarelliste qui lui vaut la réputation d’un maître de la miniature. Il est aussi de toutes les fêtes de l’entre-deux-guerres, imaginant masques et déguisements. Des années 40 jusqu’à
sa mort, il vit dans le Sud de la France et c’est là qu’il écrit ses mémoires sous le titre “Avant d’oublier”.Pour l’étiquette de Mouton Rothschild, Jean Hugo dessina une colombe tenant un rameau d’olivier, symbole biblique tiré de l’épisode de l’Arche de Noé, qui évoque ici la première année de la paix retrouvée.
JEAN COCTEAU 1947
Romancier, dramaturge, cinéaste, peintre, dessinateur, mais avant tout poète, Jean Cocteau (1889-1963) s’inscrit, par sa perfection formelle et par ses thèmes renouvelés de la mythologie antique, dans la tradition classique française. Il appartient aussi au surréalisme par sa passion de surprendre, voire de défier toute convention : “Jean, étonne-moi” lui demandait déjà Diaghilev. Ses innombrables dessins répètent jusqu’à l’obsession un profil d’éphèbe au regard profond, celui-là même qu’il traça pour l’étiquette de Mouton Rothschild 1947.Hélas, l’œuvre originale a été perdue ; celle qui est exposée ici est due au talent de Jean Marais, comédien célèbre et aussi peintre apprécié, qui, à la demande de Philippine de Rothschild, accepta de reproduire le dessin de son ami Jean Cocteau.
MARIE LAURENCIN 1948
Influencée au début de sa carrière par la stylisation cubiste et par la période nègre de Picasso, Marie Laurencin (1885-1956) se trouve associée de près aux mouvements d’avant-garde de cette époque ; son oeuvre “Apollinaire et ses amis” (1909) date du temps de sa liaison avec le poète. Par la suite, sa peinture s’oriente vers une manière plus décorative, inspirée par les “nabis”. Pourtant, au-delà des écoles et des systèmes, elle possède une originalité propre qui réside dans son talent de coloriste aux tons pastels, à la gracieuse naïveté, et dans sa prédilection pour les visages adolescents.Pour l’étiquette de Mouton Rothschild 1948, elle a dessiné un couple de jeunes bacchantes, en leur donnant cette gravité enfantine que l’on retrouve si souvent dans son œuvre.
ANDRÉ DIGNIMONT 1949
Peintre parisien, André Dignimont (1891-1965) expose fréquemment au Salon d’Automne. Il est étroitement lié aux milieux littéraires de son époque, notamment à travers son amitié avec Francis Carco.Dessinateur et aquarelliste de grand talent, il illustre de nombreux textes célèbres, depuis les “Contes” de Perrault jusqu’à “Autant en emporte le vent”. Sa peinture, elle, marque, une prédilection pour les divertissements populaires, bals et cafés, salons de maisons closes, filles et mauvais garçons.Fidèle à cette inspiration, il conçoit un décor de taverne champêtre pour l’étiquette de Mouton Rothschild 1949, un des meilleurs millésimes du siècle.
GEORGES ARNULF 1950
Né à Monaco, Georges Arnulf (1921-1996) obtient en 1950 le Premier Grand Prix de Rome de gravure. La même année, il illustre l’étiquette de Mouton Rothschild. Attiré par l’art précolombien, il réside en Colombie de 1957 à 1966, réalisant des vitraux d’église et des fresques murales. Puis il rentre en France où il enseigne le dessin tout en poursuivant une œuvre qui, d’une manière foisonnante et tourmentée, unit dans un même mouvement l’humain et le végétal, le minéral et l’animal.Par son austérité, son dessin pour l’étiquette de Mouton Rothschild 1950 appartient à sa première manière : l’art du graveur s’y révèle à travers la netteté du trait et la perspective rigoureuse dans laquelle il enferme le bélier symbolique.
MARCEL VERTÈS 1951
Né en Hongrie, Marcel Vertès (1896 – 1961) commence sa carrière comme affichiste à Vienne puis s’installe à Paris en 1925. Il s’y consacre à la lithographie. Son album Dancings (1926) révèle son talent d’observateur des Années Folles et provoque l’intérêt des maisons d’édition. Celles-ci lui demandent d’illustrer de nombreux ouvrages : Chéri et La vagabonde de Colette ; Les aventures du roi Pausole de pierre Louÿs ; L’Europe galante de Paul Morand, et Le cirque de Ramon Gomez de la Serna.Son goût des scènes intimistes s’exprime avec bonheur dans le charme bucolique de son dessin pour l’étiquette de Mouton Rothschild 1951.
LÉONOR FINI 1952
D’origine italienne, Léonor Fini (1907-1996) est d’abord influencée par les préraphaélites, ainsi que par Beardsley. Puis elle rejoint le mouvement surréaliste qui détermine dans son œuvre certaines constantes thématiques : érotisme teinté de mystère, personnages androgynes, paysages oniriques. Son art trouvera une voie nouvelle avec la réalisation de nombreux décors d’opéra et de théâtre. Vedette de la vie parisienne, elle lui a longtemps apporté son goût de l’extravagance, du déguisement et de la fête.Surgissant d’un cahier d’écolier, la jeune « bélière » de son dessin pour l’étiquette de Mouton Rothschild 1952 démontre que, pour Léonor Fini, c’est par l’élégance et la précision du trait que l’on va du quotidien vers le rêve.
ANNÉE DU CENTENAIRE 1953
Le 11 mai 1853, le baron Nathaniel de Rothschild (1812-1870), de la branche anglaise de la famille, signe l’acte d’achat qui fait de lui le propriétaire de Château Brane-Mouton, 75 hectares de vignes sur la commune de Pauillac, pour la somme de 1 125 000 francs or. Sa nouvelle acquisition reçoit aussitôt le nom de Château Mouton Rothschild.Pour commémorer le centenaire de cet événement, le baron Philippe de Rothschild décide de dédier à son arrière grand-père le millésime 1953.Exceptionnellement, ce millésime ne fut pas illustré par l’œuvre d’un peintre contemporain, mais par un médaillon d’époque représentant le baron Nathaniel lui-même
JEAN CARZOU 1954
D’origine arménienne, Jean Carzou (1907-2000) accomplit d’abord des études d’architecture. Son œuvre de peintre ne fut réellement appréciée qu’après 1945. Par la suite, il acquit une grande célébrité avec ses décors de théâtre de ballet : “Le loup” pour Roland Petit en 1953, “La Périchole” au Théâtre de Paris en 1970. Son art est fondé sur le
contraste entre le géométrisme rigoureux des perspectives et l’enchevêtrement des lignes qui préside à la représentation des personnages et des choses. Surgit dès lors un univers poétique personnel, qui transcende la réalité objective en lui conférant une dimension fantastique.L’allégorie de la « Roue de la fortune » qu’il a choisie pour l’étiquette de 1954 rappelle à quel point, même à Mouton Rothschild, les dons de la nature peuvent être imprévisibles…
GEORGES BRAQUE 1955
Premier peintre de notoriété internationale à illustrer une étiquette de Mouton Rothschild, Georges Braque(1882-1963) est, avec Picasso, l’un des principaux initiateurs du cubisme, révolution picturale qui supprime la perspective et juxtapose les différents angles de vision du même objet. En 1913, l’invention capitale des papiers collés le conduit à renoncer aux tonalités sombres pour des couleurs plus vives. Après la guerre de 1914-1918, son œuvre évolue vers le figuratif : nus, baigneuses, paysages, natures mortes aux courbes opulentes et aux puissantes harmonies chromatiques. Ses sculptures, ses vitraux, ses bijoux ajoutent encore à sa gloire.En quelques traits, son dessin pour Mouton Rothschild 1955, réalisé à la taille exacte de l’étiquette, célèbre un magnifique millésime avec la simplicité d’un très grand artiste.